Une semaine après le scrutin du 23 octobre, le camp progressiste est dans le désarroi. Choqués, traumatisés, déprimés... ses membres s'interrogent encore sur les raisons d'un phénomène qu'ils n'arrivent toujours pas à expliquer.
La victoire d'Ennahdha est une évidence même si nous sommes encore nombreux aujourd'hui à douter de sa pertinence. Les multiples dépassements constatés par nos militants et enregistrés par des observateurs indépendants avant et pendant la campagne électorale et durant le jour du scrutin sont certes parfois flagrants mais ils n'ont fait qu'amplifier une nette victoire du mouvement islamiste, déjà annoncée depuis des mois par les observateurs.
Le score d'Ennahdha est toutefois à relativiser pour plusieurs raisons.
- Abstentionnisme. Près de la moitié du corps électoral n'a pas participé au vote. Malgré le fait que leur participation était possible même sans inscription. Extrapoler le résultat du scrutin sur ces abstentionnistes est hasardeux car ils ne se sentaient pas concernés par ces élections.
- Dispersion importante des voix. Près de 1 350 000 voix (environ le tiers des votants) se sont perdues. Beaucoup de ces voix sont allées à des candidats indépendants qui n'ont obtenu aucun siège.
- Le vote pour Ennahdha n'est pas homogène mais très composé. Si on estime entre 10 et 15% les sympathisants d'Ennahdha qui ont voté pour elle, le reste soit 25 à 30% des votants sont des électeurs occasionnels de ce mouvement. Certains d'entre-eux ont voté Ennahdha parce qu'ils ne connaissent pas les autres partis, peu présents voire absents du terrain. D'autres, qui ne partagent pas les idées d'Ennahdha, ont voulu lui "donner une chance" en votant pour elle. D'autres encore ont associé, grâce à la propagande électorale et un discours matraqué à outrance, Ennahdha à l'Islam et ont voté pensant qu'il s'agissait d'un devoir religieux... Le vote non partisan d'Ennahdha est volatil et susceptible de changer de camp en présence d'une alternative crédible au discours démagogique du mouvement islamiste.
La victoire d'Ennahdha réside dans la conjonction de plusieurs facteurs.
- Ennahdha était bien implantée grâce à des réseaux probablement construits patiemment au fil des années et de la répression qui s'était abattue sur eux depuis l'ère Bourguiba. Ces réseaux se sont renforcés grâce aux solidarités sociales (quartier, villages...) suscités par la répression.
- Ennahdha a parfaitement su quadriller le terrain avec une logistique irréprochable. Les partisans d'Ennahdha à tous les niveaux (y compris les chefs de bureau de vote et les observateurs des élections) étaient de loin les plus nombreux, parfois leur présence était écrasante. Ils étaient préparés et bien formés aux techniques de propagande électorale. La logistique nahdhaouie a reçu un apport financier considérable de certains pays du Golfe et de généraux donateurs locaux.
- Ennahdha a su rassurer des tunisiens désemparés, en perte de repères et en mal de valeurs après la chute de la dictature et confrontés à un avenir incertain, dans un contexte de précarité sociale structurelle mais aussi conjoncturelle sur fond de crise économique.
- Une campagne de terrain articulée autour d'un ingénieux mix fait d'un usage immodéré de la religion comme support de campagne, d'une victimisation à outrance des symboles d'Ennahdha réprimés par la Dictature et d'un discours socialement conservateur tourné vers les valeurs traditionnelles.
Le Qotb, quant à lui, a perdu suite à plusieurs erreurs.
- Le discours du Qotb était élitiste, intellectualiste et déconnecté des préoccupations des Tunisiens.
- Le Qotb s'est concentré sur le Grand Tunis (en particulier les quartiers huppés et habités par la classe moyenne supérieure) et était pratiquement absent du reste du pays où son discours était inaudible voire muet.
- Le Qotb s'est enlisé dans de faux débats et s'est réduit à défendre des idées éloignée des attentes de l'électorat (séparation du politique du religieux, égalité, libertés...) qui l'ont marginalisé, offrant ainsi un angle d'attaque large à Ennahdha pour le discréditer.
- Les affaires CinémAfricArt puis Persepolis, prises en charge et défendues par les représentants du Qotb et leurs militants l'ont poussé dans le piège tendu par Ennahdha et a offert à cette dernière 10 bons points à quelques semaines du scrutin.
Pour gagner, le Qotb doit admettre un certain nombre de considérations.
- Accepter l'idée de la défaite.
- Faire preuve d'humilité envers l'électorat.
- Changer de discours et de méthode.
- S'implanter solidement dans les régions en s'appuyant sur des réseaux locaux.
- S'unir avec les autres forces progressistes dans le cadre d'un front stratégique, seul capable de gagner lors des prochaines échéances électorales.
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