Les temps sont tristes pour les internautes tunisiens. Depuis quelques jours, une vague de censure sans précédent frappe de plein fouet Internet, en particulier son pendant tunisien la blogosphère tunisienne, l'un des rares espaces virtuels de libre expression relativement épargné par la censure.
La campagne de fauchage systématique a commencé au début de la semaine dernière. Les habitués des sites de journaux français en ligne ont été surpris de se voir refuser l'accès aux sites du Nouvel Observateur, Rue89.com, un journal en ligne indépendant qui se démarque du mainstream lancé par des transfuges de Libération, et 20Minutes, le site du journal gratuit le plus lu France. A peine remis de leurs émotions, les internautes tunisiens constatent avec stupeur le verrouillage en série de ce qui reste de sites sociaux de partage de vidéos en ligne. Le ton avait déjà été donné la veille de la commémoration de la fête de l'indépendance (choix délibéré ou fortuit ?) avec la disparition de Wat.tv, célèbre plate-forme de partage de vidéos en ligne de TF1 qui compte parmi les sites les plus visités par les internautes tunisiens attirés par son contenu surtout musical. Cette fois-ci, ce sont respectivement Metacafe, Blip.tv et Vidoemo qui rejoignent ainsi le grand cimetière numérique tunisien où reposent déjà deux mastodontes, Dailymotion et Youtube, définitivement mis sous silence depuis 2007.
Vendredi 23 avril, nos lecteurs sur Internet n'arrivaient plus à accéder au site d'Attariq Al Jadid. Dans la foulée, le blog des Amis d'Attariq, une initiative de quelques uns de nos lecteurs qui y reprennent des articles de notre journal, est lui aussi verrouillé. Une campagne de mobilisation s'en est immédiatement suivie sur Facebook pour demander le retour de ces deux sites.
Mais le massacre cybernétique ne s'est pas arrêté là. Le mardi 27 avril était une journée noire pour la blogosphère tunisienne. Les blogs tunisiens les plus populaires passaient, un à un, à la trappe. Au total, 11 blogs sont massivement expulsés de la toile dont celui de la star de la blogosphère, Big Trap Boy, qui a habitué les internautes à ces notes caustiques en dialecte tunisien, raillant nos travers sociaux et ironisant sur la régression sociale que connaît notre pays depuis quelques années. La liste des victimes du "mardi noir" comprend également des blogueurs actifs et prolifiques tels que Carpe Diem, auteur d'analyses socio-politiques fouillées sur la Tunisie mais aussi Ounormal, Bent Ayla, Antikor, Articuler et Stupeur. Le blog de Tarek Kahlaoui, l'un des leaders de la blogosphère, un universitaire tunisien installé aux Etats-Unis avait déjà connu le même sort quelques jours auparavant. La censure ne s'est pas contentée de viser les blogs, elle a aussi touché deux agrégateurs de blogs tunisiens, Tuniblogs et Tunisr, bloqués entre le 21 et le 23 avril derniers.
Au moment où l'on pensait que ce massacre à la tronçonneuse numérique touchait à sa fin, le lendemain en début de soirée les amateurs de la photo découvraient avec étonnement qu'il ne leur était plus possible d'accéder à Flickr, le plus grand site au monde de partage de photos en ligne.
Avec cette campagne de censure systématique, beaucoup craignent que Facebook, le dernier espace de liberté virtuel qui reste aux tunisiens, soit prochainement enterré par Ammar et ses acolytes.
A défaut de connaître les véritables auteurs du verrouillage d'Internet en Tunisie, internautes, blogueurs et plus récemment facebookers pointent du doigt Ammar 404, la "mascotte" de la censure Made in Tunisia, le chiffre 404 faisant référence au code d'erreur qui apparaît sur les pages verrouillées lorsque l'internaute tunisien tente d'y accéder. Ammar étant un prénom générique censé désigner le censeur anonyme caché derrière une obscure machine administrative sourde sans foi ni loi. Ammar 404 est moqué, raillé, vilipendé à longueur de journée sur la blogosphère et Facebook. On ne compte plus les caricatures qui le mettent en scène, les notes sarcastiques qui sont lui sont dédiées sur les blogs ou les quolibets qui lui sont lancés par les internautes tunisiens.
Face à la censure, les internautes tunisiens se sont pas restés les bras croisés. Sur la blogosphère la machine de la dénonciation a carburé à travers les innombrables notes de solidarité dédiés aux blogs verrouillés. Sur Facebook, un groupe a même été créé, "Le "404 Not Found" nuit gravement à l'image de mon pays" pour dénoncer les effets de la censure sur l'image de marque, déjà passablement écornée, de la Tunisie dans le monde. Un appel à pétition (dont le site a lui aussi été bloqué !) circule aussi sur le réseau social visant à rassembler 10 000 signature contre la censure d'Internet en Tunisie.
L'initiative la plus sérieuse dans ce domaine est l'œuvre de Tarek Kahlaoui. L'universitaire tunisien, victime lui aussi de la censure de son blog, promeut une "initiative populaire" qui dépasse les campagnes habituelles de dénonciation pour revendiquer le "droit à l'expression et à la navigation sur Internet" en "combattant la censure" à travers une démarche "collective" pour "faire pression sur l'appareil de la censure".
Le quotidien virtuel de l'internaute tunisien s'assombrit dans un espace cybernétique qui, jour après jour, se réduit comme une peau de chagrin. Mais les internautes ne s'avouent pas vaincus et se mobilisant tant bien que mal dans tous les espaces possibles qui leurs sont offerts pour défendre chèrement une liberté garantie par l'article 8 de la constitution du pays mais paradoxalement menacée par un appareil occulte aux desseins obscurs.
Hédi Ben Smail
Attariq al Jadid du 21 au 27 août 2010
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