Les sondages d’opinion font partie intégrante de la vie politique dans les démocraties modernes. Baromètre imposé de l'opinion publique par les puissants instituts qui les produisent et les médias qui les consomment sans modération, ils sont devenus l’outil privilégié d’aide à la décision des politiques. Au point où il leur est reproché de se désintéresser des préoccupations réelles de la population et de se contenter de “gouverner par les sondages”. Ces mêmes politiques abhorrent les sondages lorsqu’ils les discréditent ou condamnent leur action pour se raviser et les citer abondamment pour se donner raison lorsqu’ils sont assaillis par les critiques ou pour appuyer leur politique.
Malgré les polémiques infinies et les critiques les plus acerbes dont ils font souvent l’objet, les sondages se sont imposés comme une constante incontournable dans la vie politique moderne.
Il faut reconnaître aux sondages un mérite, celui de mesurer le pouls de la population et de rendre visibles ses attentes et ses besoins. Ils permettent aussi aux décideurs d’ajuster leurs politiques et de les adapter à la réalité. Parfois un peu trop, car ils finissent souvent par cultiver le conservatisme et empêchent ainsi l’audace. Ils peuvent aussi se transformer en arme de populisme massif que les politiques dégainent, souvent en période électorale, pour faire triompher la démagogie sur les véritables enjeux.
Les sondages sont souvent précis et prédisent généralement l’issue du scrutin. Mais ils ne sont pas infaillibles. Edouard Balladur l’a découvert à ses dépends aux présidentielles de 1995, au grand bonheur de Jacques Chirac qui était donné perdant par les sondages mais a fini par gagner pour donner le véritable élan à sa carrière politique. Les sondages n’ont pas, non plus, anticipé l’échec catastrophique de Jospin en 2002 et l’irruption inédite du front national au 2ème tour de l’élection présidentielle en France.
Depuis le 14 janvier, les sondages se multiplient, parfois à l’excès. Un nouveau marché a vu le jour avec la liberté désormais acquise et la déferlante de partis qui foisonnent sur la nouvelle scène politique en gestation. Les cabinets d’analyse du marketing de la grande consommation rivalisent désormais avec de nouveaux venus locaux et étrangers qui veulent tous se tailler une part dans ce gâteau alléchant.
Qu’en est-il de la crédibilité de ces sondages ? La polémique enflait déjà avant le 14 janvier à propos de certains cabinets d’études de marché qui avaient délivré des sondages largement complaisants - pour ne pas dire totalement faussés - pour favoriser certains médias. L’enjeu étant la manne des annonceurs. L’éthique et le professionnalisme n’étaient donc pas à l’ordre du jour de ces vendeurs de chiffres.
Ces mêmes cabinets, dont le gagne-pain est le décryptage du comportement du consommateur ou des tendances de consommation se sont brusquement reconvertis dans les sondages politiques. On se demande sérieusement avec quels outils et connaissances abordent-ils cette nouvelle “activité”. Car un parti politique n’est pas un paquet de vaisselle et la complexité des idées et des opinions du citoyen ne saurait être assimilée aux goûts d’un consommateur de yaourts ou de boissons gazeuses. Et pour prétendre analyser l’opinion, il est nécessaire de maîtriser la science politique et de se prévaloir d’une connaissance approfondie de l’histoire des idées politiques et de celles des parties, des idéologies et de leur genèse...
On a constaté également que certains sondages avaient parfois tendance à mettre en avant des personnalités politiques d’envergure en les présentant comme des personnages consensuels sur lesquels se porterait une bonne partie des voix du peuple tunisien. Ce peuple présenté par les sondages, mais également par certains hommes politiques à l’ambition affichée, comme assez conservateur et enclin à voter au centre. Que de clichés - qu’aucune élection libre n’a encore validé - qui tendraient à déterminer l’électorat à quelques mois d’une échéance électorale cruciale pour l’avenir du pays. Sachant qu’un sondage est un produit commandé par celui qui peut se le payer, les interrogations sont légitimes sur les véritables objectifs de ce genre de sondage. Surtout lorsqu’on connaît le lourd passif des responsables de notre pays en matière de manipulation des chiffres qui a produit des résultats électoraux ou certaines données statistiques économiques ou sociales sans aucun rapport avec la réalité.
Même s’ils se rejoignent sur les tendances lourdes de la société tunisienne. Les sondages post-révolutionnaires manquent encore de professionnalisme et leurs concepteurs doivent absolument être soumis, au moins, à une charte éthique pour améliorer leur crédibilité. En espérant que l’épanouissement de la vie politique aidant et l’arrivée d’instituts sérieux sur le marché opèrent un écrémage du secteur.
Sami Ben Mansour
Attariq Al Jadid du 17 au 23 juillet 2011
Crédit photo : http://www.lemonde.fr/societe/portfolio/2007/03/02/les-dessins-politiques-de-la-semaine_878464_3224.html
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